Frederic Lordon France French strikes

Frédéric Lordon : le penseur français célébrant les grèves

Des grèves et des manifestations massives amènent des intellectuels en France, comme Frédéric Lordon, à tirer des conclusions plus optimistes

La vague de grèves et les manifestations de masse en France représentent la plus grande crise sociopolitique qu’une économie capitaliste avancée ait connue depuis les années 1970. Et ces luttes ont également trouvé une expression théorique dans les écrits du sociologue Frédéric Lordon.

Son blog sur le site Le Monde diplomatique a fourni un brillant commentaire sur la crise. Des traductions en anglais ont été publiées par Socialist Worker. Lordon a le don de la phrase parfaite.

Il écrit : « Macron n’a jamais accepté l’altérité. Il n’est en conversation qu’avec lui-même, le monde extérieur n’existe pas. Et, « Voilà donc l’Intersyndicale (la coordination syndicale) au bord de l’échec, qui l’attendait depuis le début, sans la moindre solution alternative puisqu’elle les refuse toutes. »

Cela s’applique parfaitement aux dirigeants de syndicats comme le RMT et l’UCU en Grande-Bretagne. Ils sont désespérés de jeter l’éponge après avoir poursuivi avec acharnement une stratégie d’action limitée vouée à l’échec dès le départ.

Lordon soutient le communisme comme alternative au capitalisme, mais il n’est pas exactement marxiste. Il est plus proche de la tradition de la sociologie critique française, dont le représentant le plus célèbre fut Pierre Bourdieu.

Mais la principale influence intellectuelle sur lui semble être le grand philosophe du XVIIe siècle Baruch Spinoza. Lordon a écrit un livre intitulé Willing Slaves of Capital: Spinoza and Marx on Desire (2010). Lordon a utilisé Spinoza pour compléter Marx en expliquant comment les capitalistes sont capables « d’enrôler » des travailleurs pour travailler et créer des profits en leur nom. La synthèse ne fonctionne pas vraiment théoriquement, malgré de nombreuses idées intéressantes.

Et du point de vue de 2023, le livre est assez pessimiste. Par exemple, Lordon dit que le capitalisme néolibéral est capable d’exiger sans limite des travailleurs en raison « d’un certain paysage de forces et notamment… de l’état des forces de résistance, plus précisément de leur inexistence ».

Maintenant Lordon célèbre une société en insurrection. « C’est beau ce qui se passe quand l’ordre au pouvoir commence à s’effondrer. Des choses petites mais incroyables se produisent qui brisent l’isolement résigné et l’atomisation sur lesquels les puissants s’appuient.

Qu’est-ce qui a fait la différence ? Ma conjecture est l’impact destructeur de la crise financière mondiale de 2007-9. Cela s’est peut-être associé aux efforts futiles et dommageables de la classe dirigeante pour persister et même radicaliser les politiques néolibérales qui ont précipité l’effondrement.

« En l’espace de quelques décennies, et surtout depuis 2017, c’est tout un modèle social qui a été mis à genoux. » il écrit. « Ils ont mis le pays à genoux. Pas la CGT, pas l’Intersyndicale (si seulement) — elles et elles seules l’ont fait. Le pays a été ruiné par les compétents. Il est dans un état de désorganisation totale.

« D’où un paradoxe (dont il y en a beaucoup) au sein du capitalisme tardif – l’incompétence de la bourgeoise est elle-même devenue une force historique, une force qu’un amendement minimal à (Joseph) Schumpeter (un économiste qui a célébré la « destruction créatrice » du capitalisme) nous permet identifier — destruction destructrice. Ou, pour lui donner son nom propre, McKinsey.

C’est un passage intéressant parce que les gens disent des choses similaires à propos de la Grande-Bretagne. Mais ils attribuent la « destruction destructrice » ici à Boris Johnson et au Brexit. Mais Lordon nous invite à reconnaître la pagaille que les conservateurs nous ont infligée comme un symptôme de quelque chose de plus large et de plus systémique.

J’appellerais cela le début de l’effondrement de la capacité du capitalisme à se reproduire. L’explosion de 2023 a donné un contenu de classe beaucoup plus concret au communisme de Lordon.

« La souveraineté des producteurs sur la production, voilà un slogan qui a de l’allure, et bien au-delà de la classe ouvrière, les plus directement concernés… La légitimité, et par conséquent la souveraineté, n’appartient qu’à ceux qui font le travail.

« Quant à ceux qui, malgré leur complète ignorance, prétendent pourtant organiser le travail des autres – consultants et planificateurs –, ils ne sont que des parasites et doivent être chassés.

Le chemin à parcourir pour la lutte en France est loin d’être simple ou direct. Mais il est fascinant de voir comment cette révolte a déjà éclairé la pensée d’un intellectuel de gauche talentueux et l’a aidé à si bien exprimer sa logique.

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